Belleville - Ménilmontant



Le plus gros village de France, Belleville, est rattaché à Paris en 1860. C’est un haut lieu de la Commune et la dernière barricade tombera rue de la fontaine au roi. Après 1920, les premiers immigrants s’installent, Arméniens, Grecs et Juifs polonais ashkénazes. Ils contribuent au développement de l’artisanat déjà présent et en particulier celui du cuir. Puis, l’implantation des commerces juifs, et leur visibilité confère à Belleville son identité de « quartier juif », avec une intense vie communautaire yiddish.

C’est un quartier où les logements sont pour beaucoup composés d’une Après la Seconde Guerre mondiale, une vague de migrants juifs arrive dans le quartier avec l’indépendance de l’Algérie. Une autre migration juive provient aussi de la Tunisie, ce qui donne au quartier une identité maghrébine séfarade.

L’urbanisation du quartier rasera les petits immeubles insalubres où s’abritait un artisanat, ce qui entraîna un changement de population.

A partie des années 80, plusieurs migrations originaires d’Asie du Sud-est et de Chine marquent le quartier. Ces nouvelles populations vont s’opposer démographiquement parlant aux autres populations originaires du Maghreb de confessions juive ou musulmane.

Actuellement, avec le « printemps arabe », de nouvelles migrations s’installent dans la quartier et y produisent une certaine insécurité exercée tant sur les Français ou les Juifs que les Chinois. La montée de l’islamisme n’est pas étrangère à cette nouvelle situation.



Ah ! Ménilmuche, je passais encore ce soir devant son l’église, pour rentrer à mon hosto situé sur un de ces chemins du moyen-âge qui reliaient le village de Charonne à celui de Belleville et au long duquel poussaient jadis ces raisins destinés à finir en piquette de guinguette, guinguettes où gambillaient l’ouvrier parisien le samedi soir après le turbin !

Soir comme Midi, j’entends avec bonheur les cloches de l’angélus comme à la campagne, angélus qui marquait le temps de la communauté pour renter au bercail, ranger les outils, et enfin aller souper avant le coucher du soleil, car à cette époque la lampe marchait au pétrole. Quelle chance me dis-je de pouvoir encore entendre cela tous les jours sur les hauteurs avec en bonus à Pâques comme à Noël le son du gros bourdon de Notre-Dame qui vient s’écraser sur la butte. Il existe encore de ces petits plaisirs secrets qui vous renvoient à l’enfance, à un ailleurs, et même à un autre siècle dont la jeunesse n’aura jamais conscience faute d’un vécu authentique en phase avec la nature et les saisons.

Ménilmuche comme Belleville sont des quartiers où cohabitent tous les peuples du monde. Certains n’y font qu’y passer, d’autres s’y installent, souvent dans la clandestinité et pour toujours. Pour qui sait y regarder, on peut y deviner un farouche désir d’y vivre tout comme un profond mépris pour ce pays et les autochtones. Les petites gens pour la plupart y travaillent beaucoup pour bien peu, ici vendeurs à la sauvette, là coolies, ailleurs fraudeurs professionnels, branleurs de père en fils au chômedu à perpette, toutes les misères du monde y croisent les rêves les plus fous 24 heures sur 24. C’est ce qui fait que Gavroche s’y sent comme chez lui, toujours prompt à monter à la barricade pour y revendiquer une utopie par jour.

On aime, on déteste, on vacille dans l’aporie du moment autour d’un pot avec la Chinoise du coin qui vous raconte sa vie de merde entre deux clients de passage, entre un jules qui branle rien au billard et son copain de français qui s’imagine en Don Juan de bistrot.

Belleville côté rue, c’est d’abord une foule qui vous saute aux yeux où se distinguent des groupes immobiles à travers lesquels s’écoulent en tous sens des flots humains ininterrompus du matin jusqu’au soir. En ce sens, Belleville à bien changé depuis les années 40 au cours desquelles le samedi et le dimanche étaient frappés d’un désert où les chalands se faisaient rares autant que les voitures. Quels changements.

Pour l’observateur installé sur place, une classification des groupes se cristallise au fil du temps. L’œil averti ou attentif y distinguera les habitués, les temporaires, les passagers.

S’il fallait une image pour décrire la sociologie du carrefour de Belleville, celle d’un fleuve serait utile. Le courant en représenterait la foule dans son ensemble et les récifs matérialiseraient les groupes implantés ici ou là de façon permanente.

Chaque groupe se cantonne donc à un endroit fixe, bien déterminé, et reste imperméable aux autres. On a ainsi des groupes de SDF venus des pays de l’Est, des SDF africains, des SDF originaires du monde indien, des groupes de Maghrébins et, souvent le matin, quelques SDF plus ou moins issus du monde des drogués traînent quelque temps au carrefour avant de disparaître on en sait où.

A ces groupes s’en rajoutent d’autres composés de chômeurs ou de retraités, des gens qui n’espèrent plus grand-chose et qui finissent même par ne plus penser à rien.

Enfin, le samedi et dimanche, des groupes de Chinois, sans doute profitant de leurs jours de repos et dont le nombre au total atteint la trentaine d’individus, occupent un large périmètre près du carrefour juste en face du supermarché asiatique.

Tous ces groupes, s’excluant les uns les autres, en tout cas se montrant peu perméables en partie pour des questions linguistiques, constituent une structure permanente à laquelle il convient d’ajouter un vaste groupe de prostituées chinoises dont le nombre total indéterminé plafonne souvent autour d’une centaine de personnes en faction.

Par leur présence, les prostituées attirent en permanence des individus de toutes sortes allant du voyeur aux clients habitués ou simplement de passage, en passant par le pervers, l’obsessionnel, le psychopathe et aussi le voleur à la recherche d’argent facile. Ces deux dernières catégories sont sources d’agressions allant du simple vol jusqu’à l’assassinat, en passant par des violences d’ordre sexuelles.

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Avertissement :: Dans le but de préserver l'anonymat des personnes citées, les témoins seront désignées par des initiales indiquant leur appartenance ethnique, religieuse ou nationale. F comme français, K comme kabile, M comme musulman, A comme arabe, J comme juif, Al comme algérien, C comme chinois, I comme indien ou Pakistanais, E comme europe de l'est, R comme russe, B comme africain, T comme tunisien, et cetera. Cette étiquetage n'est en rien péjoratif et correspond à la représentation immédiate que donne la personne. Rien de plus. En aucun cas il faut y voir une connotation implicite ou négative de surcroit. Merci pour votre compréhension dans cette approche phénoménologique de la vie quotidienne d'un quartier où les acteurs se désignent eux-mêmes et entre eux de cette manière.


C’est quoi un SDF ?


C’est un gus qui n’a plus rien ou presque dans son baluchon, rien à part une bande de potes aussi démunis que lui, bande avec laquelle il trinque des journées entières au point de se coller une cirrhose en moins d’un an. À Belleville, il n’y a pas l’épaisseur d’ une feuille de papier à cigarette entre un SDF et un économiquement faible à la retraite, juste une piaule de neuf mètres carrés, située sous les toits, mal chauffée l’hiver et étouffante l’été.

Si l’on mentionne ici les SDF, sans entrer dans les détails, c’est que leur présence fait partie du paysage et de la dynamique des lieux. Il est vrai que, par grand froid, l’hiver les chasse temporairement de l’allée centrale. On en devine alors la présence aux amas de détritus jonchant le sol derrière les bancs, le long des grillages défoncés protégeant tant bien que mal des arbustes mal menés, ces cache-misère entretenus par des jardiniers pleinement dévoués à la beauté des lieux. Le SDF en tant que catégorie sociale, c’est une dynamique humaine avec ses joies, ses peines, ses coups de déprime, ses moments forts, ses moments d’abandon, d’absence, et aussi ses amours et ses haines. C’est là où la jonction de toutes les misères se noue en une sorte de continuum d’humanités en désespoir, humanités se raccrochant les unes et aux autres afin de ne pas se sombrer dans le néant.

Belleville, pour certains SDF, et pas seulement, fonctionne comme un lieu de transition entre un avant, matinal, et un après, nocturne. Entre ces deux moments extrêmes, des groupes se cristallisent au fil de la journée pour former un chapelet de réfugiés, de fin de droits, de RMISTES, de marginaux, de paumés, de retraités, de gens qui s’ennuient ferme et qui fabulent à haute voix sur les femmes au tapin. Ici, on ne mendie pas. On attend sans doute la soupe du soir avant de se rendre dans un refuge situé dans le quartier ou ailleurs. Vient donc un moment où les gens se disent au revoir avant que les groupes ne s’évaporent en toutes directions en laissant derrière eux des isolés qui attendent on en sait quoi, on ne sait qui jusqu’au bout de la nuit.

Au sein des groupes, les discussions vont généralement bon train, tout comme la picole, la drogue parfois. Au cours de la journée existent de grands moments de silence, d’attente, de rêveries perdues dans des vapeurs d’alcool ou de stupéfiants. Les SDF, et leurs proches, vivent ainsi au jour le jour faisant face aux imprévus de la vie quotidienne, vie que l’on voudrait pourtant tranquille bien ancrée dans une routine, une vie faite d’habitude sans surprise, une vie bien stéréotypée selon des rythmes aboutissant à une sorte de phénologie se déroulant avec la précision d’une horloge suisse.

Vivre au jour le jour ne signifie pas que l’individu n’envisage pas à un moment quelque projet d’avenir pour s’en sortir. Le nouvel arrivant vous parlera d’un futur stage de reclassement, d’une formation qui le sortira de là, de ses projets d’avenir avec des rêveries plein les yeux. Si certains s’en sortent, la plupart se retrouvent pourtant piégés par une situation dont on ne voit pas comment ils pourraient un jour sortir tant la dégradation de leur santé s’affirme vite au fil du temps. La rue abîme vite et pas qu’un peu.

Les effets des aléas climatiques, le froid, la mal bouffe, la picole, le tabagisme, les complications quotidiennes font craquer rapidement les plus fragiles. La santé mentale vacille à son tour. Les phénomènes de désocialisation semblent chez certains dominer le tableau. Dans ce cadre, on mentionnera ici la perte répétée des papiers d’identité, perte en forme de lapsus. L’abandon à l’alcool, à la drogue, fait de l’individu un être parfois imprévisible s’adonnant à des crises de violence qui le font craindre de son entourage. Cette dégringolade est souvent accompagnée d’un contentieux économique avec le groupe. Les dettes sont partout. Il arrive qu’un individu finisse ainsi par se faire chasser de la place après avoir pris une bonne raclée destinée à lui faire comprendre une fois pour toutes le message, celui d’une interdiction d’apparaître ici à jamais. La déchirure est alors douloureuse pour celui qui la subit. L’isolement, une mise à l’écart brutale , l’interdiction de réapparaître sont un moment vécu comme une mise à mort sociale. La souffrance n’est pas feinte. Nous sommes bien en face d’une personne déchirée, perdue, encore plus désespérée qu’avant et pour longtemps, car retrouver un autre groupe n’est pas chose aisée. On a des habitudes dont on ne se défait pas sans y perdre beaucoup.

L’état de clochardisation d’individus ayant déjà un passé fortement problématique, tant dans l’enfance que par le milieu familial ou scolaire, semble irréversible et n’aboutirait que rarement à une réinsertion économique. De l’exclusion économique, puis sociale, on en arrive à observer une sorte d’auto exclusion, une négation de soi qui bloquerait tout avenir par abandon de projet pour s’en sortir tout en développant une argumentation fataliste.

L’accompagnement du SDF, pour sa réinsertion professionnelle, ne pourrait donc réussir qu’avec du « sur mesure » pétri d’empathie, de compréhension, d’un soutien constant psychologique et amical afin qu’il retrouve une intimité, un chez soi pour lui-même, et surtout un projet élaboré par lui-même. D’où l’importance des rencontres, de leur qualité, de leur durabilité, dans le cheminement d’une reconstruction de la personne. Le métier d’ethnologue à finalité sociale est à redécouvrir et pas seulement pour les SDF.

Ce qui caractériserait le SDF serait moins l’absence de toit que la lutte permanente pour le maintien de soi face aux insécurités vécues dans le temps. Ce serait moins le désordre dans la succession des modes de l’habitat précaire allant de l’abri le plus simple dans l’espace public au squat quasi privé, en passant par l’hébergement d’urgence et l’hospitalité provisoire, que le cumul et le degré des insécurités pesant sur la personne. Il convient de redécouvrir l’importance du droit d’habiter en un lieu et dans le monde commun pour en finir avec la situation du SDF. Dans la plupart des cas, il n’y a pas de marginalité en soi, il n’y a que de la misère pour le plus grand nombre.


et un érémiste ?

Bien que monsieur F soit érémiste, il ne pratique pas pour autant l’érémitisme. En effet, il fréquente assidûment tous les jours une bande de potes campée sur le terre-plein du boulevard. Il exerce  aussi de temps à autre le service d’ordre  lorsqu’un mariole cherche des noises à sa Chinoise qui tapine à deux pas de là. Monsieur F est intelligent, d’un commerce agréable, serait mécano de formation, et, connaissant tout le monde sur la place, je le soupçonne parfois de servir éventuellement d’indic à la police, police qu’il semble bien connaître et pas qu’un peu. Un jour, on en vient à converser et il me raconte les dernières nouvelles du quartier. Plus tard, il m’annoncera l’arrivée d’un enfant. Bref, une histoire qui semble bien finir pour lui et sa compagne qui a disparu du paysage.

Tous les érémistes ou chômeurs du moment ne partagent pas la même histoire avec une fin heureuse. Beaucoup sont bien seuls en vérité et s'ennuient fort en ce bas monde. Le jour, ils se rassemblent par affinités en petits groupes, fabulent sur les femmes qui passent et pas toujours avec des mots aimables. Monsieur A se moquent facilement des Chinoises en les traitant de chèvres ou de valises. Monsieur A ne parait ni éduqué par les bonnes manières ni habité par l'intelligence, ni même par la tolérance ou la compréhension qui devraient accompagner sa cinquantaine bien tassée. Monsieur A, comme beaucoup, attend en fait le versement de sa prochaine pension pour aller voir une de ces Chinoises. Il se vantera d'ailleurs, pour le reste du mois, de ses exploits érotiques. Sur la place, on compense comme on peut une vie en déficit perpétuel dans tous les domaines.


Quand Charlie hebdo impacte Belleville.

Les rassemblements de musulmans étaient nombreux jusqu’aux attentats du mois de janvier 2015. Depuis, les groupes se sont envolés. Quelques personnes sont depuis revenues après plus d'un mois d’absence, mais elles restent encore peu nombreuses à la fin du mois de février.

Monsieur K avait disparu pendant un mois. À son retour, il nous explique que les évènements de Charlie Hebdo ont provoqué dans la communauté un profond malaise. Cet évènement a déclenché une panique telle qu’il téléphona à son frère vivant en Allemagne afin que celui-ci vienne le chercher. Depuis, Monsieur K va mal et il n'est pas le seul.

À cela, il convient, pour expliquer la désertion temporaire de Belleville, de souligner que le renforcement d’une présence militaire ou policière sur le site fît fuir certains éléments, dont des sans-papiers et la voyoucratie locale qui se croyait définitivement maître des lieux. Avec le retour des belles journées, tout le monde revient comme on s'y attendait.

 



e  aussi le serrvcie d' boulevard.


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